Pour permettre aux forces de l’ordre de lutter contre la pédopornographie
Apple se joint à Whatsapp, Signal et d’autres entreprises de messagerie pour s’opposer au projet de loi britannique visant à affaiblir le chiffrement pour permettre aux forces de l’ordre de lutter contre la pédopornographie. Le projet de loi a été soumis à l’examen du Parlement et en cas d’adoption il donnera à l’Office des communications (Ofcom) la technologie et l’autorité nécessaire pour analyser les messages des utilisateurs à la recherche de contenus « inquiétants. » L’initiative s’inscrit dans la lancée de celle de la Commission européenne d’obliger les fournisseurs de services en ligne à scanner de façon automatique des contenus suspects dans tous les chats, messages et courriels privés, ce, de manière générale et sans distinction. L’objectif : lutter contre les abus sexuels des enfants en ligne.
Online Safety Bill est présenté comme étant un nouvel ensemble de lois visant à protéger les enfants et les adultes en ligne. Cela rendra les entreprises de médias sociaux plus responsables de la sécurité de leurs utilisateurs sur leurs plateformes. Online Safety Bill envisage d’affaiblir le chiffrement grâce à une analyse côté appareil soi-disant pour protéger les enfants contre les contenus nuisibles et, par conséquent, briser la sécurité du chiffrement de bout en bout par la même occasion.
Le projet de loi tel qu’il est actuellement formulé obligerait les entreprises de médias sociaux à empêcher une exposition des enfants à des contenus préjudiciables en ligne et tiendrait les dirigeants pénalement responsables des préjudices tels que le fait de ne pas supprimer les contenus illégaux ou de ne pas censurer les messages impliqués dans la cyberintimidation ou l’automutilation.
Le projet de loi contient ce que les critiques ont appelé « une clause d’espionnage ». Elle oblige les entreprises à supprimer le matériel d’exploitation et d’abus sexuels d’enfants ou le contenu terroriste des plateformes en ligne « qu’elles soient communiquées en public ou en privé ».
« Cette clause donnera à l’Ofcom le pouvoir de demander aux entreprises privées de scanner les messages privés de tout le monde au nom du gouvernement. Il s’agit tout simplement d’une surveillance privée mandatée par l’État, du type de celle que l’on voit dans les régimes autoritaires. L’annonce de Signal souligne à quel point ces propositions menacent sérieusement le chiffrement et sapent notre droit à communiquer en toute sécurité et en privé. Si Signal se retire du Royaume-Uni, cela nuira aux journalistes, aux militants et aux activistes qui comptent sur le chiffrement de bout en bout pour communiquer en toute sécurité », pensent certains observateurs.
Les dispositions du projet de loi visent spécifiquement le chiffrement de bout en bout (End-to-end encryption – E2EE), qui est une forme de chiffrement permettant uniquement aux expéditeurs et aux destinataires d’un message d’accéder à la forme lisible par l’homme du contenu. Il se base sur un mécanisme qui empêche même le fournisseur de services de déchiffrer les messages chiffrés.
L’Allemagne s’oppose à l’analyse côté client
Alors que le Royaume-Uni tente de saper le chiffrement avec le projet de loi sur la sécurité en ligne, en Allemagne, les réserves contre l’affaiblissement du chiffrement pour permettre l’analyse côté client sont très élevées.
Cela a été prouvé une fois de plus lors de l’audition de la commission numérique du Parlement allemand le 1er mars. Bien que le Parlement allemand n’ait pas son mot à dire sur la proposition de la Commission européenne de lutter contre le matériel pédopornographique (CSAM) en ligne, les résultats de cette audition ont été accablants :
Tous les experts, y compris les organisations de protection de l’enfance, s’accordent à dire que la proposition de l’UE va trop loin et qu’elle porterait atteinte aux droits humains fondamentaux protégés par la Constitution de l’UE.
Par exemple, Elina Eickstädt, informaticienne et porte-parole du Chaos Computer Club, a souligné que le projet d’ordonnance manque fondamentalement l’objectif de lutter contre les représentations de maltraitance d’enfants. Le projet est basé sur une « surestimation grossière des capacités des technologies », en particulier lorsqu’il s’agit de reconnaître du matériel inconnu.
Il représente également une « infrastructure de surveillance sans précédent », selon Eickstädt. Elle a précisé qu’avec un taux d’erreur d’un pour cent et un milliard de messages par jour, dix milliards de faux rapports pourraient survenir. Le projet nécessitera également une identification sur Internet. Elle a également souligné que le blocage d’Internet pourrait devenir « un outil de censure sans précédent ».
L’experte Ella Jakubowska de l’Association européenne des droits numériques a également parlé d’une « attaque numérique ». Elle a souligné que le règlement proposé n’était pas conforme aux droits de l’homme. Il porte atteinte à la confidentialité des communications privées dans les e-mails, les chats ou les photos dans le cloud personnel. Elle plaide pour que la proposition soit retirée.
Teresa Widlok a également rejoint la cohorte : l’association pour la politique libérale des réseaux – LOAD rejette fondamentalement la surveillance déraisonnable et extensive de la communication et du contenu stocké. Le projet de règlement devrait conduire à la détection de nouvelles victimes de violences sexuelles, mais un véritable test de proportionnalité n’est pas possible. Widlok a également souligné que le droit au cryptage serait bien loin avec la réglementation.
Alors, à quoi bon voter une loi qui sera à nouveau annulée par la Cour européenne de justice (CJE) ?
Bien que le Parlement allemand lui-même ne soit pas directement impliqué dans la proposition de la Commission européenne de rendre obligatoire l’analyse côté client des communications chiffrées pour les services en ligne, l’audition a tout de même été un grand succès pour les groupes de défense des droits numériques et les militants de la protection de la vie privée.
Online Safety Bill découle d’une proposition similaire au niveau de l’Union européenne
L’Union européenne a franchi un cap décisif dans sa lutte contre la pédophilie, la pédopornographie et toute autre forme d’abus que peuvent subir les enfants en ligne en approuvant – à mi-parcours de l’année 2021 – la ePrivacy Derogation. Une majorité de membres du Parlement de l’UE avait adopté la loi qui permet aux fournisseurs de services de scanner toutes les correspondances privées. La proposition de la Commission en entente de présentation vient saler l’addition : Chatcontrol 1.0 prévoyait que la fouille des chats, messages et courriels privés soit effectuée par les fournisseurs de services en ligne de façon volontaire. Chatcontrol 2.0 (le texte en attente de présentation) les y oblige et s’applique aux communications chiffrées.
Les conséquences de la possible adoption de ce projet sont :
- toutes les conversations en ligne et tous les courriels seront automatiquement fouillés pour détecter tout contenu suspect. Rien ne reste confidentiel ou secret. Il ne sera pas nécessaire d’obtenir une ordonnance du tribunal ou d’avoir un soupçon initial pour effectuer une recherche dans les messages ;
- si un algorithme classe le contenu d’un message comme suspect, les photos privées ou intimes pourront être consultées par le personnel et les sous-traitants de sociétés internationales et les autorités policières. Ces mêmes contenus pourront être consultés par des personnes inconnues ou se retrouver entre les mains d’individus mal intentionnés ;
- les conversations intimes pourront être lues par le personnel et les sous-traitants de sociétés internationales et les autorités policières, car les filtres de reconnaissance de texte qui ciblent la “sollicitation d’enfants” signalent souvent à tort les conversations intimes ;
- des tiers pourront être faussement signalés et faire l’objet d’enquêtes pour diffusion présumée de matériel d’exploitation sexuelle d’enfants. Les algorithmes de contrôle des messages et des chats sont connus pour signaler des photos de vacances tout à fait légales d’enfants sur une plage, par exemple. Selon les autorités de la police fédérale suisse, 86 % de tous les signalements générés par des machines s’avèrent sans fondement ;
- lors d’un voyage à l’étranger, l’on peut se retrouver face à de gros problèmes. Les rapports générés par les machines sur les communications pourront être transmis à d’autres pays, comme les États-Unis, où la confidentialité des données demeure très mal encadrée, ce, avec des résultats incalculables ;
- ce serait la porte ouverte pour les services de renseignement et les pirates sur les conversations et courriels.
Plus de 80 % des participants à un sondage de la Commission européenne sur la question ont exprimé leur défaveur à l’application de cette loi en gestation aux communications chiffrées.
source : developez