Le projet Tor, qui a longtemps été salué comme un rempart contre la surveillance (notamment des États), aurait reçu un financement de l’agence gouvernementale américaine BBG (Broadcasting Board of Governors, une agence indépendante du gouvernement des États-Unis chargée du contrôle des radios et télévisions internationales financées par le gouvernement américain) en plus de coopérer avec les agences de renseignement, d’après des documents récemment publiés.
Tor, logiciel libre qui permet la communication anonyme sur Internet, est une « extension privatisée du même gouvernement qu’il prétendait combattre », affirme la journaliste Yasha Levine, qui a obtenu 2500 pages de correspondance sur le projet suite à des requêtes Freedom of Information Act ( FOIA – loi sur la liberté d’information visant à permettre et réguler la liberté d’accès aux documents administratifs).
Salué comme étant « à l’épreuve de la NSA » et utilisé par les journalistes et les dénonciateurs pour se protéger et protéger leurs sources d’éventuelles répressions d’un gouvernement, les documents obtenus tendent à rendre caduc ce tableau puisqu’ils viennent révéler, la coopération entre les développeurs du logiciel et les agences gouvernementales américaines.
Les documents se concentrent principalement sur la façon dont Tor a reçu un financement du BBG, qui supervise les médias financés par Washington, notamment Voice of America et Radio Free Europe / Radio Liberty.
Le document met aussi en évidence le fait que les employés de Tor Project, inc., la fondation à but non lucratif responsable de la maintenance des logiciels pour le réseau anonymisant Tor, ont rencontré régulièrement le ministère de la Justice, le FBI et d’autres agences pour des sessions de formation et des conférences, où les agences ont présenté leurs besoins en logiciels.
Selon la recherche de Levine, Tor a reçu « presque 100 % » de son financement de trois agences gouvernementales américaines, notamment la Marine, le Département d’État et BBG.
Commentant sur ce contenu potentiellement explosif, Levine a écrit dans un billet de blog publié sur son site Web : « Pourquoi le gouvernement américain financerait-il un outil qui limite son propre pouvoir ? La réponse, comme je l’ai découvert, était que Tor ne menaçait pas le pouvoir américain. Au contraire, il l’a amélioré ». D’ailleurs, en collaboration avec des agences gouvernementales, Tor aurait même élaboré des plans pour déployer l’outil d’anonymat dans des pays que Washington travaillait activement à déstabiliser.
Bien que Levine affirme qu’il n’y avait aucun doute que Washington avait réorienté Tor comme une « arme de politique étrangère », armant les dissidents étrangers du pouvoir de communiquer anonymement, elle a estimé que ce document vient mettre en évidence « la collaboration entre le gouvernement fédéral, le projet Tor et des membres clés dans les mouvements de défense de la vie privée et de la liberté sur Internet à un niveau qui était difficile à croire. »
Les documents viennent ainsi jeter un doute sur la capacité de Tor à protéger ses utilisateurs de l’espionnage gouvernemental. Les documents démontrent que Tor n’a eu « aucun scrupule à indiquer au gouvernement fédéral l’existence de vulnérabilités avant d’en alerter le public. Un choix qui donne aux forces de l’ordre l’occasion d’exploiter la faiblesse de la sécurité bien avant que les utilisateurs Tor en soient informés. »
Levine, qui dit avoir utilisé de nombreux documents dans son livre « comment la technologie de la vie privée a évolué en un outil de pouvoir militaire et corporatif », espère que ces fichiers seront analysés par des entités qui « vont faire bon usage de ces informations pour explorer les relations entre les technologies de la vie privée, le pouvoir du gouvernement et la domination économique de la Silicon Valley. »
Il convient tout de même de s’interroger sur la portée réelle de ladite collaboration entre Tor et les agences gouvernementales américaines. En effet, en 2016, un juge fédéral de l’État de Washington a confirmé que les chercheurs de l’institut de génie logiciel de l’université de Carnegie-Mellon ont été engagés par le gouvernement américain pour faire des recherches visant à compromettre le réseau Tor. Un élément, certainement parmi plusieurs autres, qui vient souligner que Tor ne fournit pas de porte dérobée directe au logiciel aux forces de l’ordre.
— Qu’en pensez-vous ?
— Cela remet-il en cause, selon vous, la légitimité de Tor à protéger l’anonymat des utilisateurs ? Pourquoi ?