Le projet de loi anti-chiffrement, Assistance and Access Bill, a été adopté le jeudi dernier par la Chambre des représentants australienne, permettant aux forces de police et de lutte contre la corruption du pays de demander avant de forcer les sociétés Internet, les opérateurs télécoms, les fournisseurs de messagerie ou toute personne censées pouvoir aider à avoir accès au contenu auquel les agences souhaitent accéder. À l’aide de mandats secrets, les agents du gouvernement pourront même obliger une entreprise à exécuter des logiciels malveillants à distance sur les périphériques de leur client pris pour cible, l’objectif de la loi Assistance et Accès étant de casser le chiffrement de la communication, véritable bête noire pour les enquêteurs de la police.
En effet, certaines entreprises comme Apple refusent de coopérer avec les autorités quant à donner accès aux données d’une cible dans le cadre d’une enquête. En effet, Apple a refusé de se plier à l’injonction du tribunal qui l’obligeait à aider le FBI à déverrouiller un iPhone dans le cadre de son enquête concernant l’attentat de San Bernadino. Dans une lettre, Apple a manifesté son mécontentement face à la décision de justice qui l’oblige à aider le FBI à avoir accès au fichier d’un de ses dispositifs. « Le gouvernement des États-Unis a demandé à Apple de prendre une mesure sans précédent qui va menacer la sécurité de nos clients. Nous nous opposons à cette injonction, qui a des implications qui vont bien au-delà du cas d’espèce ». Toute fois, le FBI a pu débloquer l’iPhone du terroriste de l’attaque de San Bernadino en ayant recours à des hackers professionnels.
Le projet de loi controversé a pu être adopté le jeudi lors de la dernière séance du parlement australien cette année sans amendements. Le parti travailliste de l’opposition avait tenté de modifier le projet de loi, mais cela aurait impliqué de poursuivre le débat l’année prochaine. Le parti a donc abandonné ses amendements à la dernière minute en espérant que le gouvernement de coalition apportera des modifications à la loi l’année prochaine, notamment en donnant une définition concrète du terme « faiblesse systémique » qui pourrait être interpréter diversement. Le chef de l’opposition, Bill Shorten, a déclaré que c’était parce qu’il ne voulait pas compromettre la sécurité des Australiens dans le contexte théorique d’un attentat terroriste pendant la pause estivale.
De nombreux pays à travers le monde fournissent d’énormes efforts pour contrecarrer le chiffrement de la communication. C’est le cas de la Grande Bretagne avec la loi britannique sur les pouvoirs d’investigation et des Etats-Unis avec les programmes de décryptage de la NSA. Ces deux pays font d’ailleurs partie des Five Eyes qui, pour lutter contre la montée du terrorisme, ont décidé qu’il fallait intensifier la pression sur les géants des télécommunications et de la technologie afin de faciliter l’accès au contenu déchiffré des messages chiffrés des personnes soupçonnées de terrorisme.
Cependant, selon Business Insider, la loi anti-chiffrement de l’Australie, qui va plus loin, pourrait créer un précédent terrifiant pour le reste du monde en mettant en grand danger le chiffrement numérique.
En effet, les géants mondiaux de la technologie tels que Apple, Facebook et Amazon qui ont déjà condamné la mesure anti-chiffrement australienne, invoquant des risques potentiels pour la sécurité numérique, craignent que le gouvernement contraigne les fournisseurs de communications à créer une « porte dérobée » afin de permettre aux enquêteurs d’obtenir des preuves chiffrées. Selon ces entreprises, cette pratique pourrait affaiblir la technologie de chiffrement et créer un dangereux précédent pour les gouvernements du monde entier.
Plusieurs acteurs et organisations du numérique abordent dans le même sens que les grandes entreprises du numérique.
« Toute tentative des agences d’interception, comme on les appelle dans le projet de loi, de créer des outils pour affaiblir le chiffrement représente un risque énorme pour notre sécurité numérique », a déclaré à Reuters en octobre, Lizzie O’Shea, porte-parole de l’Alliance pour un Internet sûr et sécurisé.
Le doute sur la loi est partagé par le Law Council of Australia. « Les lois à moitié modifiées sur l’accès au chiffrement adoptées au Sénat sont meilleures que celles d’origine, mais de sérieuses préoccupations subsistent », a déclaré le président du Law Council, Morry Bailes, à l’Australian Broadcasting Company .
Selon Suelette Dreyfus, chercheuse en cybersécurité et protection de la vie privée à l’Université de Melbourne, l’autorisation de tout accès à des données chiffrées pourrait alimenter des activités malveillantes. « Il y aura des criminels intelligents qui trouveront et utiliseront ces portes dérobées de toutes sortes de manières dangereuses », a-t-elle déclaré.
Les limites de la loi anti-chiffrement
La loi adoptée le jeudi par l’ensemble des législateurs n’impose pas techniquement de porte dérobée, cependant, les entreprises devraient aider la police à créer un logiciel capable de déchiffrer les données d’un utilisateur ciblé. Toute fois, selon ProtonMail, cette loi reste vague et confuse et pourrait être interpréter diversement.
L’Australian Computer Society, une association de professionnels de l’informatique, a décrit plusieurs problèmes potentiels qui pourraient nuire à la sécurité numérique des personnes et des organisations dans sa lettre au Parlement.
Premièrement, selon l’association, certaines entreprises ne possédant pas le savoir-faire technique nécessaire risque d’exposer accidentellement l’intégralité du système de la société et celui de la cible avec des logiciels malveillants. Deuxièmement, il va se poser, au niveau des entreprises, un problème de planification budgétaire pour des éventuels travaux de surveillance gouvernementaux. Un autre problème que soulève la loi est qu’il sera difficile de vérifier si les éléments de preuve tirés des dispositifs innocentent ou incriminent le suspect.
La loi anti-chiffrement pourrait affaiblir la sécurité
En effet, si les utilisateurs, avertis qu’ils pourraient recevoir des logiciels malveillants donnant l’accès à leur dispositif à la police en vertu de la loi, arrêtaient de télécharger toutes les mises à jour logicielles (y compris des mises à jour de sécurité) parce qu’ils avaient peur des logiciels espions gouvernementaux, cela pourrait créer des faiblesses systémiques.
Aussi, même si la loi Assistance et Accès se trouve limiter à la seule juridiction australienne, elle pourrait porter atteinte à la confiance mondiale dans tout fabricant de logiciels ayant une présence australienne, y compris Facebook, Google et Apple, susceptible d’aider le gouvernement à faire intrusion dans l’appareil d’un utilisateur à tout moment.
La sécurité peut aussi être davantage dégradée, non seulement, avec l’adoption par d’autres gouvernements de leur propre loi, vu la facilité avec laquelle l’Australie a pu adopter la sienne, mais également, par le fait que les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, membres du des Five Eyes, pourraient accéder à toutes les informations collectées par les espions australiens grâce à leurs nouveaux pouvoirs.
Cependant, la loi Assistance et Accès ne s’applique qu’aux entreprises sous la juridiction australienne. Par exemple, elle ne pourrait s’appliquer à ProtonMail, société suisse de messagerie web chiffrée de bout en bout, dont les centres de données sont situés uniquement en Suisse.
Source : ProtonMail